Je n’ai pu retenir un commentaire de mononcle (c’est de mon âge) : « Tu sais que sous un kilt, les Écossais ne portent rien ? » Il n’a pas pris la peine de répondre. Il s’est plutôt assuré que l’on ne remarque pas que son short dépasse. La solidarité vestimentaire a ses limites.
« On met ça comment, maman, une jupe ? » Je n’aurais pas su comment l’aider. Sa mère a eu tôt fait d’élucider le mystère. Une jupe portefeuille avec des boutons n’en contient pas tant, heureusement.
Il s’est rendu au collège avec les meilleures intentions, par solidarité avec les filles de sa classe, afin de dénoncer la nature sexiste et genrée des uniformes scolaires. Un mouvement qui a pris naissance il y a deux semaines dans quelques écoles de la Rive-Sud de Montréal, qui a fait boule de neige.
Il n’est pas dupe avec sa jupe. Il est conscient des limites de sa symbolique. Surtout que depuis deux semaines, quantité d’élèves saluent ce geste de solidarité tout en témoignant de la tradition du deux poids, deux mesures profondément incrustée dans le tissu de bien des écoles secondaires. Non seulement dans leur rapport à la tenue vestimentaire elle-même, mais dans l’attention qu’elles accordent à la parole de leurs élèves, selon leur sexe, à ce sujet.
Cette semaine, plusieurs filles ont dénoncé l’hypocrisie d’établissements qui se targuent de compter parmi leurs rangs des garçons porteurs de jupes, conscientisés aux luttes pour l’égalité des sexes.
Des directions d’école saluent publiquement l’audace spontanée et la marque de solidarité des garçons, mais du même coup, derrière les portes closes, reprochent aux filles de rouler leur jupe à la taille pour qu’elle soit plus courte, en sortant leur ruban à mesurer. Bravo les garçons ! Discrétion les filles…
Je me suis rappelé cette semaine qu’en première secondaire, à mon collège en voie de laïcisation, le directeur général, par ailleurs frère d’une congrégation, interceptait les élèves sur le palier de l’escalier principal et demandait aux filles de boutonner leur chemisier jusqu’au cou. Couvrez ce début de clavicule que je ne saurais voir !
L’uniforme scolaire était pour moi à l’époque une hérésie. Une limite déraisonnable à la liberté d’expression de l’identité individuelle. Je n’en portais pas, mais j’avais signé un éditorial dans le journal étudiant pour dénoncer l’idée qu’il puisse un jour être rendu obligatoire, ce qui est arrivé bien malgré moi deux ans plus tard, alors que j’étais au cégep. J’avais autant d’influence comme chroniqueur que j’en ai aujourd’hui, il faut croire…
Aujourd’hui, comme parent, je comprends mieux les avantages de l’uniforme, non seulement d’un point de vue pratique, mais social. C’est un agent d’aplanissement des différences de classes.
Fiston est rentré éberlué cette semaine d’un cours d’introduction au budget individuel, dans lequel des élèves semblaient se moquer de ceux qui s’habillent dans des friperies. Ce n’était pas parce qu’il s’était acheté un imperméable à 6 $ au Village des Valeurs quelques jours plus tôt, mais parce qu’il découvrait le mépris de classe. À son âge, j’avais des amis dont les parents immigrants se saignaient pour qu’ils puissent étudier au collège. Je ne crois pas que ce soit bien différent aujourd’hui.
En 1990, je ne savais pas ce que signifiait le mot « genré ». Autres temps, autres mœurs. Mais je dénonçais déjà le caractère sexiste de l’uniforme scolaire.
Pourquoi les filles de ma classe qui jusque-là pouvaient porter le pantalon seraient-elles contraintes à revêtir la jupe, même l’hiver ? Selon quelle logique réactionnaire allait-on permettre ce recul manifeste, en brimant ainsi la liberté de choix des adolescentes ?
Je ne sais pas ce que sont autorisés à porter en classe les élèves de mon ancien collège aujourd’hui. Mais je salue l’initiative d’établissements comme le Collège de Montréal, qui permettent à leurs élèves, peu importe le genre auquel ils s’identifient, de choisir à leur guise leurs vêtements, qu’ils soient traditionnellement désignés comme masculins ou féminins. Quoique je n’ai jamais compris que l’on puisse délibérément choisir de porter la cravate…
Malheureusement, bien des écoles ne sont pas aussi progressistes en cette matière. Cette semaine, alors même que leurs camarades de classe avaient enfilé des jupes en signe de solidarité, des élèves d’une école de la banlieue de Québec ont été renvoyées chez elles parce que leurs robes ont été jugées trop courtes, rapportait vendredi Le Devoir. Sur une photo que ces six adolescentes disent avoir publiée sur Facebook dans la foulée de leur renvoi, on constate pourtant que leurs robes n’ont rien d’indécent.
> Consultez l’article du Devoir
L’humiliation que ces élèves de cinquième secondaire ont subie – elles ont été renvoyées, disent-elles, parce qu’elles ont refusé qu’une surveillante mesure la taille de leur robe – témoigne par l’absurde de ce régime de deux poids, deux mesures qui gangrène toujours nos écoles.
Des adolescentes portent des robes pour dénoncer l’hypersexualisation du costume d’écolière – celui de Britney Spears dans le vidéoclip de… Baby One More Time, parmi une multitude d’exemples – et elles sont aussitôt punies. Des adolescents portent des jupes, sans égard à leur longueur, et sont portés aux nues pour leur engagement social. Ils ont eu, contrairement à elles, la bonne idée de renverser les codes…
C’est l’énième illustration d’une bien triste réalité : lorsqu’un homme s’exprime, il est plus entendu qu’une femme. Comme au Scrabble : mot compte triple. Cela se vérifie partout, de tout temps, en de multiples circonstances. Un homme fait un plaidoyer féministe et l’on en fait tout un plat. Une femme dit la même chose, à la virgule près, et rien n’est considéré comme plus banal.
Parce qu’un garçon porte une jupe à l’école, on dira qu’il a des couilles. Les filles, elles, ne demandent pas que l’on salue leur courage. Elles demandent seulement qu’on les écoute. Et qu’on les laisse tranquilles.