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Le port de l’uniforme à l’école

VENDREDI 5 FÉVRIER 2021 PAR LAURA BERTIN

Les hashtags #Lundi14septembre, #balancetonbahut, la déclaration de Jean-Michel Blanquer selon laquelle les élèves doivent porter une “tenue républicaine” quand ils sont à l’école, permettent de lire en filigrane cette obsession de contrôler le corps et la tenue des enfants. Obsession toujours renouvelée, l’uniforme scolaire permet de questionner ce contrôle et de comprendre les enjeux contemporains autour de la (re) possession de son corps.
L’uniforme scolaire
L’uniforme scolaire est une tenue que les élèves d’une école doivent porter quand ils sont inscrits dans l’école. Il se distingue du code vestimentaire, c’est-à-dire, d’un code qui interdit certaines tenues et accessoires. L’uniforme est reconnaissable. Il est composé la plupart du temps, d’un pantalon sombre et droit, d’une chemise et d’une cravate pour les garçons, tandis que chez les filles, il est composé d’une même chemise et parfois cravate, et s’assortit avec une jupe ou un kilt. Selon les modes et les époques, les tenues évoluent : parfois on assortit la tenue d’un polo, de chapeaux ou d’accessoires, les filles revendiquent de porter des pantalons etc. Les uniformes répandus dans le monde s’occidentalisent, notamment sous l’influence de la colonisation britannique dans les pays d’Asie du Sud-Est.

Aujourd’hui, le débat autour du port de l’uniforme réapparaît dans les sociétés où il avait disparu ou s’était raréfié. Le multiculturalisme contemporain, qui entraîne le mélange de nombreuses sociétés hétérogènes dans un même milieu, le libéralisme qui défend une forte vision des droits et libertés individuelles ainsi que le capitalisme qui promeut un modèle d’échanges, de libre-circulation des biens et des personnes transforment les sociétés en regroupements de différents groupes dont l’identité est revendiquée fermement et l’individualité mise en avant. L’individualisme contemporain conduit ainsi les membres d’une société à revendiquer leurs spécificités, leur originalité et leur personnalité. Dans cette ambiance individualiste, comment redonner un sens communautaire aux pays ? L’éducation, jouant un rôle essentiel, doit-elle aider dans le sens d’une réunification des pluralités culturelles ? Peut-on lire l’uniforme comme un effort d’unifier des territoires hétéroclites ?

Dans la même dynamique, nos sociétés contemporaines inspirées de la démocratie et du libéralisme, défendent de fortes revendications identitaires (que ce soit en terme de religion ou d’ethnie), sociétales (la mise à mal du patriarcat, la défense de la transidentité) ou sociales (les critiques des inégalités socio-économiques). Ces revendications questionnent quant au positionnement à adopter devant les autres : comment apparaître devant les autres ? Comment appartenir à la société en restant fidèle à ce que je suis ? L’uniforme vient-il renforcer ma personnalité et mon appartenance à la société, ou au contraire, représente-t-il un effort archaïque pour m’engloutir dans un tout ?

Ces débats sont portés par des problématiques politiques et sociétales qui émergent dans l’essoufflement des démocraties libérales et du modèle capitaliste d’une société tournée vers le monde. Les sociétés modernes se voient reprocher un certain laxisme, une perte d’autorité de la part des gouvernements, avec une perte de légitimité ainsi que la perte de la confiance du peuple. Le gouvernement qui tenterait d’imposer une discipline (telle que la discipline qu’on retrouve derrière le port d’un uniforme) se verrait moquer par la communauté civique. La question de Rousseau concernant l’organisation de la communauté civique qu’est le peuple apparaît d’une actualité frappante. Doit-on revenir sur soi-même, tourner le dos à la mondialisation et recréer des liens communautaires ? Le port de l’uniforme peut-il concourir à créer, dans la jeunesse d’un pays, un sentiment d’appartenance à un même Etat ?

Finalement, si toutes ces problématiques relèvent d’une portée plus large et plus générale que notre actuelle étude, l’uniforme sera étudié en fonction de ces enjeux contemporains. Il ne sera pas étudié les arguments en faveur et en défaveur du port de l’uniforme, mais plutôt dans les ambitions et les conséquences d’un tel port. Les enfants, ceux que l’école tend à instruire ou à éduquer, apparaissent comme une voie dorée pour introduire une nouvelle vision de la société. Faut-il les obliger à appartenir à une société en les habillant en citoyen ? Ou faut-il les laisser à leurs divergences et leur pluralité, avec pour risque une rencontre impossible entre différents membres d’une même société ?

L’uniforme, entre communautarisme et individualisme : l’appartenance à un groupe
L’uniforme est porteur d’une valeur communautaire, en tant que ceux qui les portent sont immédiatement unifiés sous une même couleur. Nous verrons trois groupes d’arguments qui pensent l’uniforme comme la condition d’appartenance à une société, nous en soulignerons les aspects problématiques et les enjeux de tels arguments dans le débat du port de l’uniforme.

Le problème dans les questions du port de l’uniforme, est que les arguments sont très peu développés concernant le pour et le contre du port de l’uniforme. J’essaierai d’apporter un éclairage personnel pour se poser ou reposer les questions d’un tel port.

L’uniforme, en tant qu’il permet d’appartenir à un groupe défini de personnes (d’élèves au sein d’une école précise) finit par mener à l’uniformisation de la société. Les pays comme l’Allemagne et l’Italie nous permettent de penser cette problématique. Les deux pays ayant traversés une époque totalitaire, celle de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste du XXe siècle, ont tous deux repoussé le port de l’uniforme à l’école. Il existe, dans l’esprit de ces pays, un lien intrinsèque entre le port de l’uniforme et l’embrigadement de la jeunesse. Dans l’Allemagne nazie, les enfants en dessous de l’âge de quatorze ans portaient l’uniforme (Deutschen Jungvolks) et à partir de quatorze ans, les élèves portaient l’uniforme des jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend). C’est dire le lien entre toute une politique étatique et l’établissement de l’uniforme. Les enfants sont happés par la direction que l’Etat veut leur faire emprunter. Qui dit uniforme, dirait immédiatement embrigadement, uniformisation d’un groupe derrière une volonté politique.

Aujourd’hui, ce contrôle politique sur les corps des enfants peut se lire dans la politique du Ministère de l’Éducation en Malaisie. La Malaisie est un pays ayant connu la domination britannique et sur lequel, cette dernière a imposé son mode de vie. C’est dans les pays anglo-saxons que l’on retrouve avec le plus de vigueur la politique du port de l’uniforme. Ainsi, le port de l’uniforme a été imposé sur le territoire malaisien. Aujourd’hui encore, les élèves portent l’uniforme. Il diffère selon l’enseignement primaire et secondaire. Les élèves doivent porter l’écusson de l’école sur leur uniforme, certaines écoles autorisent aussi au nom de l’élève d’apparaître sur la tenue. On voit bien, dès lors, que l’appartenance à l’école est plus importante que l’individualité de l’élève, que son nom. Être dans une école détermine l’enfant. Le ministère de l’Éducation en Malaisie va jusqu’à vérifier les coupes de cheveux des élèves qu’il réglemente : les garçons ne peuvent pas avoir les cheveux longs, le gel est interdit, on ne peut pas changer la couleur de ses cheveux, les filles aux cheveux longs doivent les attacher. Cependant, l’uniformisation des élèves en Malaisie est marquée tout de même par des différenciations dans les groupes religieux ou en fonction de son rôle à l’école. En effet, les élèves musulmans et musulmanes ne portent pas les mêmes tenues (voir leur tunique blanche appelée baju kurung) et les élèves qui ont des rôles importants dans l’école comme les prefects peuvent se voir attribuer une autre tenue. Si on voit par conséquent, une volonté d’uniformiser les élèves, l’uniforme ne vient pas lutter contre des différences sociétales, il finit par les mettre en exergue. La tenue finissant par représenter une place dans la hiérarchie sociale. L’uniforme jouant un rôle essentiel dans l’éducation malaisienne, le non-respect du port de l’uniforme et des règles de tenue entraînent différentes sanctions graves : le renvoi de l’établissement ou des punitions corporelles. Une nouvelle fois, on voit le corps et la tenue de l’élève soumis au pouvoir de l’institution.

Mais paradoxalement, on pourrait penser que ce contrôle sur l’habit entraîne un contrôle sur la personnalité des élèves, sur leur évolution et leur développement. On pense à un système à la 1984 d’Orwell, où chaque personne serait sans cesse surveillée par un Big Brother qui nous vêtit semblablement. Mais un des arguments pour le port de l’uniforme est justement une mise en avant de l’affirmation de la personnalité. Comme dans les systèmes totalitaires du XXe siècle, on voit le port de l’uniforme comme l’embrigadement de toute une jeunesse et par conséquent, de son embrigadement tant psychologique qu’identitaire. Le Royaume-Uni apparaît comme un pays emblématique en ce qui concerne le port de l’uniforme : 98% des écoles publiques du secondaire imposent l’uniforme et 79% des écoles primaires. Loin d’être un pays totalitaire ou se voulant totalitaire, il faut comprendre le port de l’uniforme autrement. Il s’agit bien plutôt de lutter contre une société des apparences et un règne des marques qui empoisonnent les autres sociétés. Le mot d’ordre de l’uniforme britannique est la sobriété : en termes de couleur, il n’y a que du noir, du blanc et du bleu, il s’agit de porter des chaussures noires unies, des chaussettes unicolores, un pantalon sombre, une chemise, la cravate de l’école et un pull portant l’écusson de l’école, le manteau de l’élève doit lui aussi être sobre. Alors que les élèves pourraient se comparer, regarder qui porte les vêtements les plus onéreux, qui porte les vêtements à la mode etc. ces types de raisonnements sont exclus de la dynamique anglaise. On veut alors souligner une affirmation de l’identité de l’élève. En effet, ce dernier ne pouvant exprimer sa personnalité à travers ses vêtements va travailler sa personnalité et son attitude. Il y aurait une désertion du jugement sur l’apparence pour une prise en compte plus profonde de ce qu’est l’individu à proprement parler. Cependant, un tel argument soulève de nombreuses critiques. En effet, ce serait à la fois penser que les enfants ne peuvent pas penser au-delà des apparences et sont soumises à elles. Les confronter dès lors à l’idée que l’habit ne fait pas le moine le mettrait dans une dynamique plus réaliste. Car si l’uniforme règne à l’école, quelle attitude adopter une fois que l’élève a quitté l’école et qu’il se retrouve mélangé à différents styles sociaux ? De plus, un tel argument refuse le rôle prépondérant de l’affirmation vestimentaire dans la constitution de l’identité de l’enfant. On dénie tout rôle à ce que portent les individus dans la constitution de leur identité, mais dès lors, pourquoi imposer une tenue si elle n’a pas de rôle sur la personnalité ? Il y aurait tout de même une forme d’hypocrisie à rejeter tout type d’influence de la tenue, que ce soit une influence négative ou bénéfique, sur le caractère des enfants.

Ainsi, on observe beaucoup plus de port de l’uniforme dans des sociétés strictes et exigeantes, notamment envers sa jeunesse. Le Japon était un des exemples emblématiques de cette exigence envers la jeunesse. La jeunesse japonaise destinée à devenir un corps de futurs travailleurs, les enfants sont disciplinés et entraînés avec fermeté (parfois excès) dans une véritable compétition scolaire. Le port de l’uniforme devenu obligatoire dans la plupart des établissements primaires et secondaires, occidentalisés depuis quelques années, continue à véhiculer une dynamique militaire dans la scolarité des enfants japonais. Les filles portent l’uniforme appelé sailor fuku (qui ressemble à une tenue de marin avec une marinière notamment) et les garçons portent la tenue appelée gakuran. De nombreux accessoires font autorité dans la tenue des élèves tels que les loose socks et le randoseru (cartable uniforme pour chacun des élèves). Les sociétés asiatiques défendent une valeur forte de la communauté, qui prime sur la valeur d’individualité. L’enfant est mis au service de son pays, de sa communauté et de sa famille. Il se retrouve une partie d’un tout qu’il doit faire fonctionner. L’uniforme l’habille de telle sorte qu’il se sente partie intégrante du tout.

En conclusion de cette première partie, il s’agissait de montrer l’importance de l’uniforme dans le sentiment d’appartenance à un groupe : que ce soit un groupe national de type japonais qui fait sentir que l’élève appartient à son pays et doit le servir, que ce soit à une école et une politique, comme le cas de l’uniforme britannique, ou encore de façon plus modeste, que l’uniforme fasse ressentir l’appartenance à une catégorie sociale ou religieuse, comme le vêtement du prefect ou les tenues des musulmanes malaisiennes. L’uniforme, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, inscrit les enfants dans une dynamique communautaire, il englobe une partie dans un tout qui la dépasse. Il faut, au lieu de repousser ou d’accepter l’argument de l’appartenance, questionner plutôt : à quoi veux-je appartenir ? Est-ce que tout le monde peut appartenir à un tout ? Appartenir au pays signifie-t-il ne plus s’appartenir ? Comment concilier ma personnalité et mon appartenance ?

L’uniforme comme promotion de la discipline et de la lutte contre les inégalités socio-économiques
Le port de l’uniforme permet de créer une réelle appartenance à l’école et un sentiment de fierté. Les élèves deviennent des ambassadeurs de leurs établissements.

En effet, l’un des arguments pour le port de l’uniforme revient à souligner que lorsque l’élève porte l’écusson ou les couleurs de son école, il se comporte avec plus de discipline. A l’extérieur, en portant son uniforme, il a l’impression de représenter son école et dès lors, mesure ses actes en fonction de ce qu’on pensera ensuite de son école. L’uniforme serait une sorte de garde-fou, mais aussi de fierté de l’élève. Cela rejoint l’idée que le contrôle du corps par l’uniforme se traduit par un contrôle de la personnalité et de l’attitude de l’enfant. L’influence de l’école serait telle que l’enfant aurait le poids de l’honneur de son école. Dans la littérature de jeunesse, on retrouve cette idée de discipline d’un groupe par son appartenance. Sur le modèle anglo-saxon, J.K. Rowling nous offre la description d’une école dans laquelle les élèves sont rangés par personnalité dans certaines maisons (les quatre maison de Poudlard). Chaque maison a son propre emblème, sa propre couleur et ses propres codes. Les professeurs peuvent attribuer des points aux maisons en se référant aux comportements des élèves Les élèves devant ainsi se comporter de façon correcte, avoir de bonnes notes, ou encore, être bon en sport etc. Ces comportements mis en valeur, permettent ainsi de rapporter des points à leur communauté. C’est cette même idée de représenter et d’honorer sa maison qu’on retrouve dans les arguments de ceux qui défendent le port de l’uniforme. L’uniforme apparaît comme une tenue dans laquelle on peut ou non commettre certains actes par égard à l’école. Dans les pays où l’uniforme n’existe pas, ou est très rare, comme en Allemagne, le comportement des enfants, n’est jamais visé comme représentatif de l’école dans laquelle il est inscrit. Pourtant, lors de sortie scolaire, les professeurs ne cessent de rappeler aux élèves qu’ils représentent leurs écoles. Quelle représentation est rendue plus sensible par les uniformes ? L’argument des professeurs dans les pays sans uniforme peuvent-ils encore marcher ? Les élèves doivent-ils nécessairement représenter leurs écoles, disparaître derrière elles ?

Ce sont tant de questions qui permettent d’interroger le rôle de l’uniforme d’un point de vue disciplinaire. Si nous prenons des pays d’Asie ou d’Asie du Sud-Est comme le Japon ou la Malaisie, on peut constater que le port de l’uniforme fait partie d’une politique plus large de discipline. Les élèves sont, dans ces exemples-là, contrôlés. On exerce un pouvoir visant à introduire une certaine discipline chez les élèves. Au Japon, les randoseru sont tous accrochés au crochet de leur table de classe, les élèves participent au rangement de la classe, le rôle des préfets est prépondérant, il existe une véritable unité de la classe dans laquelle les élèves sont interdépendants. Mais dans les pays anglo-saxons, peut-on parler d’une volonté disciplinaire ? Faisant partie des pays qui revendiquent les forts droits et libertés individuelles, peut-on penser que l’uniforme tend à créer l’appartenance à un groupe, l’interdépendance des élèves entre eux, avec le corps social ? Cela revient à dire qu’il existe différents niveaux de disciplines. On peut aller de l’embrigadement de la jeunesse dans une doctrine politique totalitaire à la manière fasciste, ou opter pour la création d’interdépendance des élèves entre eux, ou encore pour le sentiment d’appartenir à un groupe scolaire comme en Angleterre. Cet argument en faveur du port de l’uniforme pour la discipline de l’élève ne doit pas être séparé d’une vision plus globale de la société, et de la volonté de l’Etat par rapport à sa jeunesse.

En effet, le port de l’uniforme peut avoir une action réellement bienfaitrice en ce qu’elle promeut des élèves dans un groupe mais reconnaît également leurs qualités. On en voit l’exemple en Australie ou en Nouvelle-Zélande où les élèves qui occupent le rôle de préfet se voient vêtir d’un autre type de tenue. Si en effet, les jeunes s’inspirent des autres, de leurs styles vestimentaires et prennent pour exemple ce qui leur plaît ou ce qui est mis en avant par la société, démarquer certaines personnes par un style vestimentaire différent du groupe permet aux élèves de tendre vers ce modèle. Les préfets et préfètes étant ceux qui sont habillés autrement, ils attirent la convoitise des élèves et les poussent à les imiter.

Une objection, palpable déjà dans notre première partie, venait opposer le monde du travail à celui de l’école. Les enfants, enfermés dans leur bulle, tous identiques, semblant être tous semblables, jetés dans le monde du travail ne seraient plus capables d’appréhender les différences de cultures et de styles qui se présentent à eux. Le monde aseptisé de l’école ne donnerait pas une véritable image de ce que sera la vie après l’école. Pour parer à ce genre de changement, la Nouvelle-Zélande autorise les dernières années à porter des vêtements civils, pour les préparer au monde du travail, signe que l’uniforme coupe les enfants d’une autre réalité.

En parlant d’autres réalités, l’uniforme vient couvrir les inégalités socio-économiques des différents élèves. Encore un argument pour le port de l’uniforme, elle peut se déformer en rêve idéalisé et trompeur d’une société mensongère. Xavier Darcos rappelait en 2003 que “les tenues vestimentaires qui signalent les origines sociales des élèves ne correspondent pas à l’esprit d’une classe où tout le monde doit être respectueux d’autrui”. L’argument est ambigu. A la fois, on prône le respect d’autrui, et par conséquent, la nécessité de porter l’uniforme pour inspirer le respect de tous envers tous. Et en même temps, on introduit l’idée qu’on ne peut pas respecter l’autre s’il est différent. A méditer. Cela concernait la France, mais on peut retrouver cette même idée aux Etats-Unis. De 1997 aux années 2000, le pourcentage de port de l’uniforme dans les écoles publiques est passé de 3 à 21% (d’après la National Association of Elementary School Principals). Dans le district de Californie du Sud, l’uniforme est imposé dans toutes les écoles primaires et les collèges pour lutter contre les vêtements d’appartenance à un gang. On voit la volonté du district d’effacer l’appartenance de l’enfant au milieu duquel il vient, comme si l’école était un lieu extérieur, coupé du monde réel dans lequel l’enfant devenait un autre comme tout le monde. C’est la même idée que véhicule la notion de laïcité, elle défend aux élèves de porter des signes montrant une quelconque appartenance religieuse (tendance qu’on retrouve en France par exemple). Ces interdictions visent à inclure tous les élèves, comme si tous étaient des agents neutres. On parle d’une autre voie de socialisation, où les élèves se définiraient par autre chose que leurs déterminations sociales et familiales.

Dans la même idée, l’uniforme tend à effacer les inégalités économiques. Il existe l’argument selon lequel les uniformes reviendraient moins chers et, comme nous l’avons dit, empêcheraient les enfants de tomber dans le règne des apparences et la guerre des marques. Le prix des uniformes varie grandement d’un pays à un autre, d’une école à l’autre au sein d’un même pays également. Au Royaume-Uni, il existe une différence allant de 250 à 400 euros (372 pour un collégien et 280 pour un enfant d’école primaire d’après France 2, 300 livres sterling en moyenne d’après le blog “Scolarité en Angleterre” soit environ 337 euros). Le choix de l’école allant également avec son coût, le tri des différentes classes économiques se fait déjà dans le choix de l’école, ce qui amoindrit les différences dans les écoles même, cachées ensuite sous les uniformes. Cependant, au Royaume-Uni, il est remarqué que les élèves qui se présentent avec des uniformes bon marché ou de seconde main sont mis à l’écart par les autres. De nouveau, on se souvient de la remarque de Drago Malfoy à Ron Weasley dans Harry Potter et l’école des sorciers : “Un rouquin, et une robe de seconde main, tu ne peux être qu’un Weasley”. Il serait faux de dire que les uniformes masquent toutes les différences économiques. Pour autant, les élèves s’en détournent plus facilement que s’il y avait une réelle guerre des marques. En Israël, si l’uniforme était très présent à sa création, il est tombé en désuétude pour augmenter ces dernières années, un argument : la lutte contre le fossé qui se creuse entre les enfants de familles riches et les enfants de familles pauvres. Israël remet petit à petit l’uniforme en circulation dans un souci de ternir les différences économiques apparentes sur les vêtements portés par les élèves. Les uniformes sont garantis à des prix bas afin que tout le monde puisse y avoir accès.

Pour conclure ce second temps, l’argument selon lequel les uniformes gomment les différences socio-économiques est à double tranchant : en effet, cela permettrait une meilleure intégration de toutes les couches de la société et une autre voie de socialisation, mais dans un même temps, cela cache le multiculturalisme des sociétés contemporaines, souvent en faveur des majorités. Il y a une ambiguïté entre promotion d’une égalité et volonté de faire disparaître la différence. Cela dit, dans toutes les formes d’assimilation-intégration, il y a la volonté de gommer le différent, de le digérer pour produire du semblable. La question étant de savoir quel semblable produire ? Peut-on produire un semblable respectueux de toutes les différences ? Comment les différences peuvent-elles exister après cela ?

Les enjeux du port de l’uniforme : entre hypersexualisation de la jeunesse et égalité des sexes
L’uniforme serait-il un instrument éducatif archaïque ? Serait-il un objet de propagande honteux à notre époque ? Serait-il le moyen de contrôler le corps et l’esprit des futurs citoyens ? L’uniforme apparaît dans la bouche de ses plus farouches opposants comme un objet archaïque de domination du corps des enfants, du corps social et de surcroît du corps des femmes.

L’égalité entre les sexes, l’abandon du genre et la transidentité
L’une des problématiques du port de l’uniforme dans les sociétés occidentales et libérales est l’égalité entre les sexes et le sexisme banalisé que celui-ci véhicule. Le port de l’uniforme attribue de manière arbitraire des “tenues pour filles” et des “tenues pour garçons”. Plusieurs exemples historiques et actuels peuvent soutenir cette idée. Dans les années 1970, par exemple, en Italie, avait été instauré le grembiule, vêtement qui cachait le corps des filles afin qu’elles ne troublent pas les garçons dans les écoles mixtes. Rien n’est plus actuel que cette problématique. Le port de l’uniforme viendrait par conséquent soumettre, écraser et cacher le corps des enfants. Il ne s’agit plus de discipline et d’ordre, mais d’un sentiment de honte de la part d’une partie de la population de l’école envers son propre sexe. Cette mise en ban des filles dans les écoles italiennes a été critiquée par la révolution sexuelle des années 1960 puis a fini par être abolie. Mais l’argumentaire selon lequel un décolleté, une jupe ou une robe vient troubler les garçons à l’école, dès le collège (douze ans !) existe toujours et les filles peuvent se retrouver menacées par l’instauration d’une tenue réglementaire. Dans la même idée, de nos jours, en Malaisie, les garçons ne sont pas autorisés à avoir les cheveux longs. Les cheveux longs seraient une marque de féminitié réservée à la femme. Là encore, on instaure quelque chose qui doit être “féminin” et quelque chose de “masculin”. Cependant, si les filles ont seules le droit, d’avoir les cheveux longs, elles doivent les attacher. L’autorisation faite aux filles est immédiatement contrôlée par les autorités.

Certains pays comme le Canada prenant en compte les problématiques liées aux genres, ont autorisés les filles à porter des pantalons. Ainsi, les filles ont pu sortir de l’asservissement de la jupe, si répandu dans de nombreux pays (Royaume-Unis, Japon, gyobock en Corée du Sud). Mais si la tendance est à la libération du corps de la femme, de la féminisation de son corps, pourquoi n’autorise-t-ont pas les hommes à porter des jupes, des pantalons, des robes, à l’instar des femmes ? Il a une tendance à rendre la femme semblable à l’homme, mais non l’inverse. Le port de l’uniforme finit par transformer toute la jeunesse en une jeunesse d’apparence masculine et ne permet finalement pas de répondre aux grands enjeux de notre époque sur la sexualisation du corps de la femme ou sur le pseudo-trouble qu’elle provoque chez la gente masculine.

Bien plus encore à notre époque, les revendications de non-binarité ou de transidentité viennent discuter les uniformes et les a-prioris. S’il existe des “tenues pour femme” et des “tenues pour homme”, comment dois-je m’habiller si je ne me revendique d’aucune des deux catégories ? La problématique de l’identité à travers le port des vêtements se fait de plus en plus importante dans une société qui revendique un dépassement des anciennes catégories. Habiller les personnes de telle ou telle façon reviendrait à vouloir la ranger dans une catégorie à laquelle elle ne pense pas appartenir. Cependant, encore une fois, l’apparence peut devenir nocive et guider les personnes à ne juger plus que par le physique, ne comprendre l’autre que par son physique, finalement, ne pas le comprendre. Quand on voit l’importance du corps, de la possession et de la compréhension de celui-ci par la jeunesse et de l’importance de son apparence, on se retrouve dans une impasse pour imposer une certaine tenue, et par conséquent, une certaine attitude, un certain ordre, une certaine direction à la jeunesse. Mais que dire si l’avocat venait en tongs, le médecin en trois pièces, la pompier en sandales ou le professeur en pyjama ? N’y a-t-il pas des tenues pour chaque lieu où les acteurs ont un rôle approprié à tenir ? Refuser le costume serait-il refuser son rôle ?

La sexualisation de l’uniforme
Un second problème tout aussi problématique que le problème du genre apparaît avec le grembiule italien. Il s’agit de la sexualisation des corps. Le corps doit être déguisé car il est sexualisé par une partie de la population. Cependant, loin de calmer l’hypersexualisation – notamment du corps de la femme – l’uniforme vient créer des fantasmes pervers autour de cet accoutrement. On voit apparaître des night clubs au Royaume-Uni autour du thème de l’uniforme. Les adultes revêtent ces tenues de jeunesse et se rencontrent au sein de soirée. L’uniforme revêt un attrait sexuel qui entoure les jeunes filles et les jeunes garçons des fantasmes des plus vieux et deviennent la cible de crimes pédo-criminels. On retrouve la même idée avec les idoles japonaises, groupes de filles ou de garçons (allant de 6 à 18 ans) qui chantent de la pop. Souvent habillés comme des enfants, ou comme des écoliers.ères, ils créent un fantasme autour de l’enfant et de l’élève. Le corps de ceux-ci est mis en avant, utilisé comme produit marketing pour attiser la perversité de certains hommes fans des idoles japonaises. La tenue écolière du ou de la japonaise est sexualisée et devient également un objet de fantasme.

Il convient par conséquent de questionner tous les enjeux du port de l’uniforme à l’aune de ces problématiques contemporaines : l’uniformisation d’un groupe qui à notre époque, veut être de plus en plus spécial et individualiste, la disciplinarisation d’une génération subissant les perversions de l’ancienne génération, les inégalités socio-économiques masquées dans l’espoir d’être étouffés et menties, les différences culturelles effacées dans l’espoir d’être éradiqués. Le port de l’uniforme fait partie d’une politique globale dont il convient de comprendre la dynamique avant de juger du port de l’uniforme dans un pays ou dans l’autre. Mais si l’uniforme présente certains avantages de discipline, il apparaît comme le désir pervers d’un âge adulte avide du contrôle du corps des enfants.
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